Dans le Paris du XVIIe siècle, les marchands ambulants créèrent la surprise avec un fruit nouveau. L’orange douce du Portugal. A l’époque, les oranges européennes circulant à travers le pays étaient amères, et utilisées exclusivement pour faire de la marmelade. Et voilà qu’une orange douce, venue tout droit d’Inde et de Chine et importée par les Portugais venait tout bouleverser.
Évoquée par Molière dans sa pièce L’Avare pour signifier l’extravagance, Louis XIV y vit une ressemblance avec le soleil. Il l’adopta comme son symbole personnel et se mit en tête de créer sa propre orangerie.
Sucrée et délicate, l’orange se fraya rapidement un chemin jusqu’aux tables royales où son parfum et ses arômes exquis lui assurèrent une renommée incomparable.
La Renaissance du goût
Bien qu’apparus des siècles auparavant, et largement célébrés à Grasse ou à Hyères, les agrumes n’étaient encore, au XVIIeme siècle, qu’un petit luxe exotique réservé à une poignée d’élites. Ils parfument alors les jardins d’agréments de riches propriétaires. Et ne sont vaguement cultivés qu’à titre privé.
Leur démocratisation à partir de la fin du siècle entraînera bientôt un commerce florissant. L’évêque de Digne lèguera à sa mort un enclos planté d’orangers au roi Louis XIV. Enclos élevé au rang de Jardin du Roi, que le monarque s’empressera de reproduire au Château de Versailles encore en construction.
L’orange gagne alors en popularité, se répandant à travers les Cours d’Europe pour son fruit comme pour sa fleur. L’eau de fleur d’oranger devient un produit très raffiné. Et l’orange continue de trôner en bonne place sur la table de l’aristocratie au cours du siècle suivant. Propriétaires d’un jardin à Malte, les sœurs de Louis XVI reçoivent deux caisses d’oranges et de grenades chaque semaine autour de 1780 !
Une célébrité fulgurante pour le petit fruit vitaminé, qui s’enveloppera durablement dans l’idée de rareté et d’excellence. Au point de se faufiler jusque dans les foyers les plus pauvres. Pour constituer longtemps, aux yeux des enfants, un cadeau de Noël unique et exceptionnel.
A la table du Roi Soleil
Pris en public dans l’antichambre du roi, les repas au temps de Louis XIV voient défiler soupes, entrées variées et rôtis, dans un ballet étincelant de vaisselle dorée. Si la viande rouge est alors mise de côté, bien que le gibier soit apprécié de manière occasionnelle, la volaille se révèle être un mets de choix. Au cygne et au héron, très prisé aux siècles précédents, succède progressivement la dinde.
Grand amateur de fruits et de légumes, Louis XIV charge l’avocat et jardinier Jean-Baptiste la Quintinie d’aménager un potager juste à côté du palais. En utilisant le fumier des écuries royales, le voilà capable de produire suffisamment de nourriture pour nourrir la cour. Et ce, en toutes saisons. Les convives sont éblouis, et le moment du dessert accueille immanquablement de colossaux plateaux de fruits. Le grand final, à des repas toujours fastueux !

L’Orangerie de Louis XIV, orientée plein Sud, compte alors environ 2 000 orangers, capables de produire des oranges toute l’année. On les déguste confites, en compotes, en tartes ou en marmelade, aux côtés d’une multitude d’autres gourmandises. Nous les retrouvons également sous forme d’eau de fleur d’oranger, avec laquelle le roi aimait généralement couper son vin.
Des mets raffinés que Louis XIV savourait alors avec ses doigts, sa cuillère et son couteau, conformément à la tradition médiévale. La fourchette étant jugée comme inappropriée pour manipuler la nourriture, considérée comme un don de Dieu.
Un orangerie dans le jardin de Versailles
L’ampleur et la pureté des lignes de l’Orangerie, située juste en dessous du Palais, en font l’une des réalisations majeures de Jules Hardouin-Mansart. Démontrant son talent de grand architecte. Là, orangers d’Espagne, du Portugal et d’Italie, buis, citronniers, lauriers roses, palmiers et grenadiers communs, dont certains ont plus de 200 ans, sont gardés bien au chaud l’hiver et s’étalent sur son parterre l’été.
Construite en 1663 par Louis Le Vau. l’orangerie sera doublée, vingt ans plus tard, en longueur et en largeur par Jules Hardouin-Mansart. L’édifice devient alors colossal. Le promeneur curieux qui s’y laisserait guider pénètrera d’abord dans une galerie centrale longue de plus de 150 mètres, dotée d’un plafond voûté de 13 mètres de haut. Deux galeries latérales sont situées sous les escaliers monumentaux des Cent Marches.
Afin de maintenir en toute saison une température qui ne descendrait pas sous les 5°C, les murs ici font 4 à 5 mètres d’épaisseur. Les fenêtres sont à doubles vitrages. Et l’exposition a été pensée plein sud. A l’époque déjà, l’imposante construction aux allures de cathédrale permet de résister au gel.
Considéré par la noblesse comme un symbole d’opulence, il est de coutume, au XVIIeme siècle, d’offrir un oranger au roi. Barons, ducs, courtisans en tous genres se pressent alors pour gratifier Sa Majesté de ce somptueux présent. Bien des arbres, transportés à la hâte, ne survivront pas au trajet. Malgré tout, l’orangerie de Versailles ne tarde pas à disposer de la plus grande collection d’orangers d’Europe. Certains ayant été confisqués dans le jardin de son infortuné ministre des Finances, Nicolas Fouquet, à Vaux-le-Vicomte.
Son parterre bas, étendu sur trois hectares, est orné à l’époque de sculptures conservées aujourd’hui au Musée du Louvre. Il se compose de quatre sections en herbe et d’un bassin circulaire.
Siècle après siècle, les jardiniers défileront pour continuer d’entretenir ce patrimoine fabuleux. Joël Cottin, actuel jardinier en chef du Château, ne cache pas sa fierté, persuadé que le Roi Soleil ne serait pas vraiment dépaysé s’il venait à reparcourir ce lieu enchanteur qu’il avait imaginé.
L’eau de fleur d’oranger à la cour de Louis XIV
Dans son Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle de 1776, Valmont de Bomare écrit :
« Les fleurs d’oranger, à cause de leur odeur agréable qui est préférée à celle des roses, de l’ambre et du musc, sont fort en usage parmi nous, soit dans les parfums, soit dans les assaisonnements. »
Subtile et méditerranéenne, l’eau de fleur d’oranger rivalise peu à peu avec le jasmin, très en vogue à l’époque. Louis XIV nourrit d’ailleurs à son égard une véritable passion et ce, dès son plus jeune âge. Grand amateur de parfums, et sujet à de violentes migraines, seul le parfum doux et apaisant de la fleur d’oranger lui aurait été supportable. Une fragrance que l’on retrouve un peu partout d’où les appartements du roi, où l’eau de fleur d’oranger est diffusée à l’aide de seringues.

Tandis que les fragrances très concentrées en musc ou en civette ne sont plus tolérées par le roi, la fleur d’oranger s’impose tant dans les senteurs que dans la décoration. De l’Orangerie du château à la Galerie des Glaces, de larges vasques en argent massif exhibent des oranges amères issues du bigaradier. Aussi, c’est tout naturellement que l’une des imposantes tapisseries de la série « l’Histoire du Roi » représentera le précieux arbuste dans un exubérant vase en argent.
L’eau de fleur d’oranger est quant à elle fabriquée directement sur place, à Versailles, dans le cabinet des parfums.
Une approche changeante de l’univers de la parfumerie, qui marque l’essor de ce que l’on appellera la Civilisation des Parfums. Désormais, il s’agit davantage de témoigner d’une certaine forme d’hygiène en laissant derrière soi un sillage agréable que de masquer les odeurs corporelles.
Pour autant, le parfum ne s’applique pas n’importe comment. Le renommé Simon Barbe en énumère les pratiques dans son célèbre Parfumeur Royal.
« Les odeurs ne sont pas fort agréables lorsqu’elles sont senties de bien prés. Au contraire. Les fleurs et les parfums sentent meilleur d’une distance raisonnable que de trop près, parce qu’ils arrivent à l’odorat avec moins de mélange. Les sentir de trop près nous ôte la douceur des senteurs, et nous peut entêter. »
L’eau de fleur d’oranger n’est alors généralement pas appliquée directement sur la peau, mais utilisée pour parfumer gants, éventails, et autres accessoires. Elle se retrouve toutefois également dans de nombreux produits cosmétiques, savons, poudres, onguents, très prisés par ces dames.
En outre, l’eau de fleur d’oranger est utilisée comme remède pour dissiper certaines douleurs. Indispensable dans toute pharmacie bien garnie, on lui prête alors des vertus fortifiantes pour le cerveau et le cœur. Ainsi que des propriétés apaisantes pour calmer les esprits en cas d’hystérie.
La mythologie de l’orange
Cette mythologie, ce sont les auteurs de l’époque qui contribueront à la façonner. Il faut dire que l’arbuste venu de Chine, puis diffusé ensuite via le Portugal jusqu’à gagner le cœur des plus hauts rangs de la noblesse jouit d’une image plutôt romanesque. Si les cosmétiques et les concoctions médicinales mettent la fleur d’oranger à l’honneur, c’est parce que l’arbre tout comme le fruit bénéficie d’une aura tout à fait exceptionnelle.
Lorsqu’elle n’est pas employée en tant que remède contre la fièvre, elle se savoure à l’apéritif et se distille par petites touches comme un véritable atout de séduction. Une place stratégique, qui s’inscrit dans le mouvement précieux et galant qui imposera à la Cour la recherche de davantage de raffinement.
« Sommes-nous en Provence ?
Orangers, arbres que j’adore,
Que vos parfums me semblent doux !
Est-il dans l’empire de Flore
Rien d’agréable comme vous ? »,
écrit La Fontaine dans Les Amours de Psyché et de Cupidon dédiés à la duchesse de Bouillon.
Toujours appréciée aujourd’hui pour ses arômes sucrés, l’orange emporte avec elle un beau morceau d’histoire et se décline encore dans toutes sortes de recettes, savons et autres produits corporels. Un fruit plus commun aujourd’hui, proposé sous une multitude de variétés pour mettre à coup sûr un peu de soleil dans vos assiettes.
Alors faites-vous plaisir et achetez des oranges sans attendre. La petite astuce plaisir et santé ? Des fruits bio, récoltés à la pleine saison !
Quel excellent article. L’histoire de Versailles et les oranges du roi est fascinante.